
3 questions à Alexis Kossenko : « Notre grand concert d’ouverture aura lieu le 25 septembre autour des concertos Pour l’orchestre de Dresde »
Septembre 2021
Par Clément Vialle

© Aurélie Remy
A l’occasion de la fusion des ensembles « La Grande Écurie et la Chambre du Roy » et « Les Ambassadeurs », la FEVIS a posé quelques questions à Alexis Kossenko.
Le flûtiste et directeur musical des deux ensembles prend désormais la direction de ce nouvel ensemble baptisé Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie, qu’il nous présente et dont il évoque les grands projets pour la saison à venir et l’ancrage territoriale en Hauts-de-France.
Les deux ensembles que vous dirigez, La Grande Écurie et la Chambre du Roy et Les Ambassadeurs fusionnent et donnent naissance à un tout nouvel ensemble. Quel est l’impact de cette fusion pour les deux structures et quel nouveau projet artistique allez-vous défendre ?
Alexis Kossenko : C’est une décision longuement réfléchie et assez lourde de conséquences ! Il nous est vite apparu que les objectifs des musiciens de chaque ensemble convergeaient, en terme d’attentes musicales, d’exigence artistique, de soif de répertoires variés ; les qualités et personnalités des deux orchestres offraient une belle complémentarité ; nous comptions déjà un certain nombre de musiciens en commun ; enfin, dans la conjoncture difficile que nous traversons, il nous semblait préférable de mettre toute notre énergie au service d’une seule cause, plutôt que de la disperser ! C’est ce qui nous a permis de structurer nos projets, reconstruire de belles tournées complétées d’enregistrements discographiques ambitieux, et d’ouvrir de grands cycles autour de thèmes qui nous sont chers qui créeront l’ossature de notre résidence dans les années à venir.

Il me semblait impensable de limiter le futur de l’orchestre à un répertoire restreint, ne serait-ce que par respect pour le travail entrepris par Jean-Claude Malgoire. Son nom reste attaché à la musique baroque, certes, car son travail de défricheur et son audace ont ouvert la voie à plusieurs générations d’ensembles baroques ; mais ce serait oublier qu’il appliqua aux répertoires classique, romantique, et jusque loin dans le XXème siècle les mêmes principes de remise en cause, de questionnement des oeuvres, de choix des justes instruments, des sources, et toujours avec un amour véritable pour tout ce à quoi il touchait. Cet éclectisme fait écho à mon propre parcours, puisque tant comme flûtiste que comme chef, mon répertoire s’étend sur quatre siècles de musique et je ne pourrais pas imaginer sacrifier tout un pan de répertoire qui m’inspire ! Nous resterons donc ouvert à tout, même si nous aurons plaisir à dérouler quelques fils rouges dont je parlerai plus loin.
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Il me semblait impensable de limiter le futur de l’orchestre à un répertoire restreint, ne serait-ce que par respect pour le travail entrepris par Jean-Claude Malgoire.
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Bien entendu, cette fusion a demandé un grand travail sur le plan administratif, au niveau associatif, au niveau financier (partenariats à construire ou consolider), au niveau géographique (Les Ambassadeurs étaient jusque là implantés en Nouvelle Aquitaine), au niveau structurel, puisque qu’elle coïncide avec le passage de flambeau entre Renée Malgoire (qui avait formidablement oeuvré, aux côtés de Jean-Claude, au développement de l’Atelier Lyrique et de la Grande Ecurie) et Virginie Thomas, notre nouvelle Déléguée Générale.
L’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie sera en résidence à l’Atelier Lyrique de Tourcoing. Comment envisagez-vous cette implantation territoriale ?
Nous sommes fiers de l’entente et la confiance qui règnent entre François-Xavier Roth, Enrique Thérain et nous ; nous travaillons en étroite collaboration pour que nos projets s’inscrivent en parfaite complémentarité avec ceux des Siècles et qu’ensemble nous puissions offrir au public des Hauts de France une programmation riche, inventive, renouvelée, et audacieuse. Nous ne tournons pas le dos aux « classiques » par principe (rassurez-vous, il en restera !), mais nous savons le public assez curieux et aventureux pour découvrir de nouveaux chefs-d’oeuvre.
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Il n’y a pas de plus noble mission que de transmettre notre passion mais aussi révéler les beautés et l’harmonie des sons…
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Nous commençons dès à présent à nous rapprocher de petites structures pour apporter la musique là ou elle résonne peu souvent – qu’il s’agisse de petites villes grâce aux programmes des Belles Sorties (personnellement, j’ai toujours un certain enthousiasme à sortir ma flûte dans des lieux modestes ou insolites), de jeunes publics, ou de publics dits « empêchés » : Il n’y a pas de plus noble mission que de transmettre notre passion mais aussi révéler les beautés et l’harmonie des sons… que notre société consumériste tend à occulter, ou à dépraver ; oui, il faut savoir prendre le temps d’écouter, de ressentir ! Les très jeunes sont les plus réceptifs, car on n’a pas encore mis dans leur tête que notre musique, LA musique, était une chose élitiste… mais il n’y a aucun âge auquel la cause est perdue : j’ai bien souvent vu des ados ronchons et sarcastiques se laisser charmer et venir applaudir à tout rompre notre représentation (et parfois tout surpris d’y avoir droit, eux aussi…). Concernant les personnes en détresse (services hospitaliers, psychiatriques, gériatriques, pénitentiaires), elles sont souvent un révélateur pour nous musiciens ; on y prend conscience que la musique soulage les peines, physiques ou psychologiques, et surtout qu’elle est un bien essentiel et non superflu. J’ai une pensée pour les personnes en état de misère économique et sociale : se dit-on qu’un sans-domicile a besoin de musique ? On se figure à sa place ce qui est essentiel pour lui, un toit, de la nourriture, une insertion professionnelle ; pourtant le « superflu » qu’est l’accès à l’art, à la réflexion, à la beauté, c’est à mon sens une composante essentielle de la dignité humaine. Voilà pourquoi je réfléchis aussi à proposer des interventions musicales ouvertures aux exclus de la société ; une manière de l’offreur du beau, de la chaleur humaine, de la considération. C’est un projet qui n’est pas simple à mettre en place mais qui me tient très à coeur. Pour tout cela, il faut aussi aimer communiquer : être didactique, mais avec simplicité, chaleur, et être guidé avant tout par un désir de partage. Cette sincérité touche les gens (même dans les concerts sérieux) et ouvre toutes les portes, même celles des a-priori.
Une mission de l’Atelier Lyrique de Tourcoing à laquelle nous nous associons, est celle de la promotion des compositeurs et musiciens du Nord. En mai 2022 paraitra un coffret de trois disques dédié à Eugène Walckiers ; il n’en fallait pas moins pour rendre justice à cet étonnant et singulier personnage natif d’Avesnes-sur-Helpe, compositeur plein d’esprit dont les oeuvres instrumentales ne peuvent laisser personne insensible ! Nous croyons bien que ces disques feront l’effet d’une bombe !
Je pourrais aussi mentionner Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, languedocien certes mais qui dirigea plusieurs années les Concerts de Lille : nous enregistrerons en première mondiale son opéra « Le Carnaval du Parnasse ». Et que dire aussi de Jean-Jacques Decroix, cet avocat lillois du XVIIIème siècle à qui l’on doit la copie minutieuse et systématique des oeuvres de Rameau ? Nous lui sommes redevables chaque fois que nous rejouons un chef-d’oeuvre de Rameau !
Enfin, je ne devrais pas passer sous silence un projet qui m’est plus personnel : Les Concerts de Pan. Il s’agit de clips vidéo, publiés sur YouTube, qui visent à faire découvrir le répertoire pour flûte solo sur de précieux instruments du passé. Pour les vingt-cinq prochains épisodes, j’ai souhaité m’associer avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing et faire résonner la musique dans quatre lieux contrastés de la région : Hospice d’Havré, Hôtel de Ville de Tourcoing, la Piscine de Roubaix et même une usine abandonnée !
Quels seront les temps forts de ce nouvel ensemble pour la saison 2021-2022 ?
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Notre grand concert d’ouverture aura lieu le 25 septembre autour des concertos « pour l’orchestre de Dresde » : le baroque dans toute sa splendeur !
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Notre grand concert d’ouverture aura lieu le 25 septembre autour des concertos « pour l’orchestre de Dresde » : le baroque dans toute sa splendeur, des oeuvres explosives et virtuoses, avec un orchestre d’une taille quasi symphonique (rarement entendu dans un tel répertoire). Il fera écho à notre grand disque de la rentrée, chez Aparté.
Nous donnerons le sublime Nisi Dominus de Vivaldi avec le contre-ténor Alex Potter, associé à des concertos de Bach père et fils (Tourcoing et Théâtre des Champs-Elysées à Paris). Vous entendrez enfin le Fairy Queen de Purcell, que le Covid avait compromis l’an passé, joyeusement mis en scène par Jean-Philippe Desrousseaux (mon complice de l’Etoile de Chabrier), Puis une tournée de 6 concerts et enregistrement, en première mondiale, de la version originale de Zoroastre de Rameau – épisode II de notre collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles. Et, enfin, la première étape de notre grande pérégrination à travers l’oeuvre symphonique de Mendelssohn – sa solennelle symphonie « Réformation » et l’Italienne, aussi fraîche qu’ensoleillée, que l’on pourra entendre dans sa version révisée de 1834 (qui sera une découverte pour la plupart).
Last but not least – car la sortie d’un disque d’opéra est toujours un temps fort – notre enregistrement d’Achante et Céphise, chef-d’ouvre oublié de Rameau, paraîtra chez Warner le 3 novembre, avec une formidable distribution : Sabine Devieilhe, Cyrille Dubois et David Witczak !

