
3 questions à Elise Marre et Nicolas Châtelain : « Lorsqu’un projet aboutit, ce sont des dizaines d’idées, d’explorations, de commencements (parfois très avancés) abandonnés ou mis de côté. Les raisons pour lesquelles un projet finit par émerger et aboutir sont multi-factorielles et parfois mystérieuses. »
Octobre 2024
Par Marine Gacogne
© Jessie Overman, Blast Radius Photo
À l’occasion de la nouvelle saison du Quatuor Anches Hantées (QAH), quatuor de clarinettes qui, depuis plus de 20 ans allie exigence, tradition et modernité, la FEVIS a rencontré Elise Marre et Nicolas Châtelain, deux de ses membres fondateurs.
Ils évoquent avec nous des projets enthousiasmants, hauts en couleurs, et toujours à la rencontre de nouveaux publics où l’expérimentation est le maître mot.
La rentrée a démarré rapidement pour le QAH avec une première résidence de création en septembre au Parvis, Scène Nationale de Tarbes (65) pour un nouveau projet avec le saxophoniste Emile Parisien et le pianiste Roberto Negro. Racontez-nous.
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« On aborde toujours une résidence de création avec un mélange d’envie, de curiosité et d’appréhension. »
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Elise Marre et Nicolas Châtelain : On aborde toujours une résidence de création avec un mélange d’envie, de curiosité et d’appréhension.
Pour cette création en particulier, nous avions un grand saut à faire afin de nous immerger dans un univers loin de nos habitudes de jeu : jazz et improvisation. Le propos n’était pas d’apprendre à improviser ou de transformer notre quatuor en quartet de jazz. Nous voulions plutôt fusionner et expérimenter afin de voir quel nouvel objet sonore émergerait. Roberto Negro et Emile Parisien ont cherché un support dans le répertoire classique. La Mer de Debussy a surgi… puis s’est évaporée en laissant derrière elle quelques brumes ; brumes desquelles sont apparus des thèmes traditionnels qu’on peut retrouver notamment dans Petrouchka de Stravinsky et qui laisseront peut-être naître de nouvelles inspirations… le travail est en cours et sera créé en avril 2025 au Parvis de Tarbes.
Le voyage nous a en tous cas transportés. Il nous a emmenés à repenser nos phrasés, à repenser nos modes de jeu, nos modes d’attaque et tout un tas de certitudes sur lesquelles nous étions assis et bien installés depuis plus de 20 ans. Ce voyage nous a emmenés tous les 6 à inventer une nouvelle esthétique et à former un nouvel ensemble de musique de chambre à part entière.
En décembre prochain, à l’issue d’une résidence à l’Auditorium de Briare (45) le QAH donnera pour la première fois le spectacle musical jeune public / familial « Krakatuk ou La véritable histoire de Casse- Noisette ». Une création pluridisciplinaire pour comédien, danseur et un quatuor de clarinettes qui
interroge la forme classique du spectacle traditionnel pour la rendre plus moderne, vivante et imagée. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
La pluridisciplinarité et notamment le travail avec des chorégraphes et danseurs est au cœur de l’activité de l’ensemble que ce soit dans ce nouveau programme ou dans « Strauss & Co, Musique, Pointes & Baskets ! » créé en 2023, pourquoi cet intérêt particulier pour la danse ?
Elise Marre et Nicolas Châtelain : La question de la genèse des projets est une question qui revient systématiquement. C’est peut être la pire question que l’on puisse poser à un artiste… Lorsqu’un projet aboutit, ce sont des dizaines d’idées, d’explorations, de commencements (parfois très avancés) abandonnés ou mis de côté. Les raisons pour lesquelles un projet finit par émerger et aboutir sont multi-factorielles et parfois mystérieuses.
L’idée de Casse Noisette est venue plusieurs fois sur le tapis ces dernières années au sein de notre quatuor. L’envie de refaire un spectacle familial devenait aussi omniprésente. L’un de nos fidèles compagnons de route, le comédien, scénographe et metteur en scène Jean Manifacier nous a parlé du texte de Casse-Noisette d’Alexandre Dumas. L’approche fantastique et assez noire du conte nous a convaincus d’actualiser le ballet de Tchaïkovsky. Notre quatuor transcrit les musiques du ballet et intègre au spectacle d’autres transcriptions ou pièces originales pour quatuor de clarinettes. Jean Manifacier revoit le texte. Bryan Montarou (danseur Hip-Hop) et Jean-Marc Hoolbecq chorégraphient le tout. Ils s’agit ici aussi d’inventer un nouveau sextuor : 4 clarinettes, 1 comédien et 1 danseur pour raconter l’histoire d’un monsieur singulier et hanté par l’histoire de Casse-Noisette.

Affiche provisoire « Krakatuk ou la véritable histoire de Casse-Noisette »
Quant à Strauss & Co, Musiques, Pointes et Baskets, nous voulions questionner les pouvoirs d’influence entre la musique et la danse. L’histoire de la Valse, danse populaire propulsée en quelques décennies au rang de danse la plus en vue des cours d’Europe et au-delà rappelle le parcours de la danse Hip-Hop ou du Break Dance de nos jours.

Affiche Strauss & Co
Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=OCeqCKU2Aro
L’inclusion et la rencontre avec les publics sont devenus en quelques années l’un des fils conducteurs de l’activité du quatuor avec un véritable travail notamment auprès du public sourd et malentendant très souvent exclu de l’expérience sonore et du concert dans sa forme classique. Quelles sont vos habitudes de travail et les dispositifs que vous avez mis en place pour permettre à ces publics de venir à vos concerts ? En tant que musicien·ne·s professionnel·le·s quel rôle souhaitez-vous jouer dans la construction d’une société plus inclusive ?
Elise Marre et Nicolas Châtelain : Le public sourd a toujours été écarté des concerts, comme une évidence pour tous. Notre travail comporte trois axes. Le premier est de sensibiliser les personnes sourdes et leur entourage à l’intérêt que comporte l’expérience du concert et de trouver les moyens de les inviter à franchir les portes de la salle de concert. Nous travaillons ici en collaboration avec les diffuseurs que nous pouvons aiguiller sur les modes de communication spécifiques à la culture sourde.
Le deuxième est de participer à la conception d’un matériel adapté. En effet, nous travaillons depuis le début de notre expérience à la conception d’un matériel vibratoire qui soit capable de rendre au mieux les sensations tactiles et vibratoires des instruments de musique classique et ainsi « transporter » nos sons jusqu’à nos spectateurs.
La surdité est invisible dans notre société ; or, c’est le « handicap » le plus courant dans le monde. Lors de nos concerts inclusifs, le public entendant et le public sourd partagent ce même moment. La présence du matériel vibratoire et d’un interprète en LSF provoque le dialogue dans les rangs et par force, ou par surprise, les sourds et les entendants se retrouvent à discuter. Ils finissent par échanger sur les sensations perçues pendant le concert, sur les sensations provoquées par la musique.

Capsule sensorielle et Gilet Vibrant (subpac)
Télécharger la plaquette des programme en tournée du QAH
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