3 questions à Maude Gratton : « L’art de l’éloquence musicale dialogue au plateau avec l’énergie vitale de la danse. »
Mai 2024
Par Marine Gacogne
© Emmanuel Jacques
À l’occasion du Festival In d’Avignon, rendez-vous incontournable pour le secteur du spectacle vivant, l’ensemble il Convito s’associe au chorégraphe Noé Soulier pour présenter une création nouvelle où le mouvement et l’émotion se veulent les maîtres-mots : « Close Up ». Une pièce inventive et incarnée qui mêle musique baroque avec le célèbre Art de la Fugue de Bach interprété par les musiciennes d’il Convito, langage chorégraphique et création vidéo reflétant ainsi le foisonnement des possibilités qu’offrent les arts de la scène.
Dans ce contexte, Maude Gratton, directrice artistique de l’ensemble il Convito a accepté de répondre aux questions de la FEVIS.
Pour cette création « Close Up » que le chorégraphe Noé Soulier désigne comme une « polyphonie d’affects », la musique joue un rôle important et permet notamment de sublimer les impulsions des corps. Comment considérez vous la place de la musique dans la création au plateau ?
Maude Gratton : Bach élève les âmes : la beauté de sa musique nous porte, elle crée directement le lien qui unit tous les artistes présents au plateau. L’Art de la Fugue sera l’élément musical au coeur de la création, avec également des mouvements de Sonates, des incursions vers des formes apportant un autre regard polyphonique et expressif. L’Art de la Fugue soulève et soulèvera certainement toujours mille questionnements, au-delà même du choix de l’instrumentation, de l’ordre de son contenu ou de son inachèvement. Il y a une forme de mystère derrière cette beauté énigmatique et intense, à la fois si complexe et pourtant si proche de nous. Bach tresse une architecture vibrante et sonore qui résonne au plateau à travers le son, le geste, le mouvement, le tissage des instruments et des corps, comme autant de façons de lui rendre respectueusement hommage.
Il y a dans le travail et l’écriture du chorégraphe Noé Soulier une fenêtre ouverte sur la perception de l’inaccessible qui résonne loin. L’art de l’éloquence musicale dialogue au plateau avec l’énergie vitale de la danse.
Close Up, Noé Soulier © Alexandre Guikinger
Fondé en 1947, le Festival d’Avignon est devenu le rendez-vous traditionnel des artistes de théâtre contemporain. Il est donc plutôt rare et exceptionnel pour les ensembles de musique indépendants d’y être programmés. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette collaboration avec le In ?
Maude Gratton : La genèse de la collaboration est née d’une rencontre avec le chorégraphe Noé Soulier lors de nos années d’étude au CNSMD à Paris… il y a donc plus de vingt ans ! Sur l’invitation de Noé, j’ai ensuite participé à sa création Faits et gestes à partir de 2018, qui posait déjà sur scène un clavecin. J’étais touchée et intriguée par le travail rigoureux et extrêmement personnel de Noé, sa réflexion autour du mouvement ou de la puissance d’évocation d’un geste, son lien très fort avec la musique et notamment avec la musique ancienne. En 2021, j’ai proposé à Noé et au Cndc- Angers de poser la première pierre d’un projet croisé avec il Convito.
Le partage du projet avec le Cndc-Angers s’est effectué aussi en croisant nos réseaux de création et de diffusion ; construire un projet commun avec une structure comme le Centre National de Danse contemporaine d’Angers est une expérience artistique et humaine extrêmement enrichissante, mais c’est également un partage de compétences et une force solidaire. il Convito aura cet été cette chance incroyable de vivre une première dans le IN du Festival d’Avignon ; j’espère que cela encouragera de nouvelles initiatives et ouvrira des perspectives avec d’autres ensembles de musique indépendants pour les prochaines éditions !
Noé Soulier © Alexandre Guikinger
Création Close Up au Festival In d’Avignon – 15 au 20 juillet à l’Opéra Grand Avignon
Dans un contexte de crise de la diffusion pour le spectacle vivant et en particulier pour le secteur des musiques de patrimoine et de création, comment appréhendez-vous avec votre ensemble la création et l’avènement d’un nouveau projet artistique ? A quels enjeux et difficultés êtes-vous confrontée ?
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L’heure n’est plus à échanger autour de nouvelles formes de collaboration, coopération, mutualisation… mais bien de mettre concrètement en pratique nos réflexions, nos idées, nos solutions, pour une utopie réaliste partagée avec le public.
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Maude Gratton : Qu’est-ce qu’une création ? Une commande passée à un compositeur ou une compositrice, un projet scénique qui inclut une forme d’écriture, un nouveau programme de concert ? Toutes ces formes doivent pouvoir cohabiter, or elles portent en elles-mêmes des cheminements différents, des temporalités variées, des budgets de production sur-mesure, et elles ne prendront pas leur envol de la même manière en diffusion. Le cadre de certaines aides au projet ne prend pas assez en compte cette diversité extraordinaire de la « création ». Nous sommes trop fréquemment coincés par un calendrier ingérable entre la recherche de coproductions, la décision fragile d’enclencher le projet, la diffusion frileuse dépendant d’outils de communication au point mort ou onéreux, la difficulté de convaincre des diffuseurs, la problématique de gérer la diffusion sous la forme de tournées solidaires, point fondamental pour absorber la baisse des cessions.
Il ne faut pas oublier non plus qu’une création « musique » s’attachant à un répertoire existant nécessite des répétitions, une préparation, des essais de programmes ou d’instruments, des heures passées avec les partitions et avec nos instruments… Il devient de plus en plus difficile d’intégrer des temps de répétitions respectant l’engagement des musiciens et des artistes. Nous devons néanmoins continuer de proposer de la belle et grande musique à partager, sans obéir systématiquement à l’injonction de « réinventer » le concert. Aucun concert ne se ressemble. Les croisements des arts, des écritures, des répertoires ou des équipes artistiques, doivent rester un choix libre, mûrement réfléchi, lié à un cheminement et à un engagement.
On entend parler énormément en ce moment de la crise de la diffusion, mais cette crise commence déjà bien en amont, avec l’enjeu fragilisé des coproductions et les difficultés structurelles des lieux d’accueil. J’entends et je vois de la fatigue du côté des directeurs et directrices artistiques, des équipes administratives et de production. L’heure n’est plus à échanger autour de nouvelles formes de collaboration, coopération, mutualisation… mais bien de mettre concrètement en pratique nos réflexions, nos idées, nos solutions, pour une utopie réaliste partagée avec le public.
il Convito Théâtre Auditorium de Poitiers © Guillaume Héraud Photographe
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