28/03/2025 20h
ONLY / Zubel, Hwang, Ettlin
Les Percussions de Strasbourg
Meylan | Hexagone
Dans Only, les Percussions de Strasbourg travaillent avec trois jeunes créatrices qui n’ont reçu qu’une seule consigne stricte : ne pas utiliser d’instruments. Trois créatrices au sens large, volontairement vaste et englobant. Elles sont compositrice(s), chorégraphe, et aussi un peu metteure en scène, scénographe et peintre. Nous n’avons pas voulu fixer leur fonction dans le marbre, tant la création musicale contemporaine déborde aujourd’hui les cadres de la musique seule. Trois musiciennes et trois musiciens, qui participent pleinement, par leur présence, par leur personnalité, à une part de la création, y compris, pour certaines pièces, lors de phases de travail au plateau au cours desquelles ils et elles sont force de proposition. Enfin, des objets, des outils, et zéro instrument : une absence qui, de fait, joue un rôle important.
Cette configuration permet une mise à égalité de tous ces champs, au service « seulement » d’un récital qui repose sur chacun·e (femmes, hommes, percussions absentes). Only dépasse les catégories : pas de hiérarchie, « juste » des artistes, créatrices et musicien·ne·s, sans même l’ombre d’une percussion. Qui a dit qu’un·e percussionniste a besoin d’un instrument pour exercer son art ? Dans Only, des artistes travaillent ensemble un récital avec des présences, des incarnations, des corps, des souffles, des voix, des matières, des instruments virtuels…
Ainsi, Agata Zubel propose avec Spray une œuvre entièrement jouée avec des bombes de peinture et divers accessoires, spatules, pinceaux, cartons et papier de verre. Les spectateurs, invités au cœur d’un atelier, assistent à un ballet d’artistes orchestré avec précision. La partition dessine à la fois un paysage sonore, des mouvements synchronisés et six œuvres picturales qui progressivement s’offrent à nous sur les toiles vierges.
Ensuite, pour la première fois, les Percussions de Strasbourg commandent une chorégraphie. Noémie Ettlin manifeste une grande sensibilité à la musique et à la rythmicité. Par ailleurs, elle a remarqué l’aspect presque chorégraphié d’un concert de percussion, où chaque musicien manie avec précision et délicatesse son set en participant à un ballet instrumental ordonné. Banquise s’agence en une partition des corps et met en œuvre un commando de pingouins survoltés, librement inspiré des personnages du dessin animé Madagascar. Leurs gestes saccadés et parfaitement synchronisés sont un concentré d’humour et d’absurde animé par les seuls sons des pas, des voix et des respirations. Tout au long d’un travail d’écriture au plateau, la chorégraphe a su tirer parti des personnalités propres des musiciens et de leurs singulières capacités techniques à comprendre et interpréter les rythmes complexes des corps.
Enfin, c’est par un jeu de body percussions que les musiciens évoquent les perturbations et injonctions diverses qui envahissent notre quotidien dans Désordre, de Yijoo Hwang. Nous avons besoin de temps pour nous concentrer, sans qu’aucune perturbation ne vienne nous déranger. Cependant, nos vies sont envahies de ces parasitages divers, qui prennent de nombreuses formes : notifications sonores des réseaux sociaux, messageries diverses, sonneries de téléphone, publicités, démarchages, visites inopinées, mais aussi charge mentale, stress… Souvent, en tant qu’« animaux pensants », ce sont nos propres pensées qui nous perturbent. Est-il possible d’être libéré de toute pression pour nous consacrer pleinement à une occupation ? Est-ce que tout ce qui semble nous gêner est vraiment inutile ? Au cours de Désordre, une percussionniste est constamment dérangée par deux musiciens à ses côtés. Les parasitages viennent de la scène, mais peuvent aussi surgir d’ailleurs, autour de nous.
Guillaume Kosmicki