Sauvegardons le goût du risque et de l’aventure !
Tribune Avril 2024
Tribune par Enrique Thérain, délégué général des Siècles
Encourageons la vitalité et la diversification de la création musicale indépendante
Cela fait déjà plus de vingt ans que je travaille dans le champ des musiques de patrimoine et de création. La situation était déjà complexe au début des années 2000 quand je me suis lancé dans l’aventure des Siècles et des Musicales de Normandie mais je crois qu’aujourd’hui, nous traversons une crise sans précédent dans notre secteur.
Cette crise est la conséquence de facteurs multiples que nous connaissons bien : érosion des subventions, effet ciseau, loi de Baumol, inflation galopante… Nous avons moins de recul sur d’autres raisons plus insidieuses : prise de contrôle des financements publics par l’industrie musicale, métamorphose complète du marché du disque, hégémonie du streaming… Aujourd’hui une nouvelle menace apparaît, le développement massif de l’Intelligence Artificielle dans tous les secteurs de l’activité humaine. La culture et la musique sont particulièrement impactées, les développeurs d’IA s’engouffrant dans un marché déjà corrélé au nombre de clics, à l’étude comportementale sur les réseaux sociaux et au renforcement des habitudes de consommation et d’écoute… Nous sommes en 40 ans passés d’un monde où les majors pensaient ‘projet artistique’ à un monde où les objectifs prioritaires sont d’intégrer la playlist « Classical Music for Pets » (une des playlists les plus rémunératrices aux Etats-Unis…) et de correspondre aux algorithmes de Spotify et Amazonmusic. La standardisation de la création et de la consommation musicale se répand toujours plus pour répondre à des critères consuméristes. Certains résistent mais pour combien de temps…
Et pourtant, jamais l’effervescence artistique portée par les projets indépendants n’a été aussi vivace. Cette énergie transparaît dans les cursus étudiants. De jeunes musiciens, toujours plus nombreux, se forment à diverses pratiques instrumentales, développent des profils artistiques singuliers et novateurs. Ils s’intéressent à tous les répertoires avec une acuité inédite, sont autant de redécouvreurs, de créateurs, de passionnés qui repoussent les limites de notre art. En découle l’apparition de nouveaux ensembles, de projets audacieux et brillants et de modèles de structuration renouvelés et inventifs. La FEVIS joue un rôle très important dans l’accompagnement de ces nouveaux projets. Le New Deal, les plateaux de saison en région et maintenant Interférences sont autant d’opportunités pour de jeunes ensembles de se faire connaître et de développer un carnet d’adresses.
Aujourd’hui, il semble que les pouvoirs publics assument, sans évidemment le dire clairement, de ne plus soutenir l’émergence. Obtenir une aide au projet est devenu un chemin de croix. Il me semble que l’ADN de la FEVIS et des ensembles indépendants est à l’exact opposé de ce repli sur soi et de cet immobilisme. Dans les années 70-80, les premiers ensembles ont bouleversé les modes de production, la façon d’appréhender la musique et le métier d’interprètes. Il nous faut collectivement garder ce goût du risque et de l’aventure, peut-être plus que jamais dans la crise que nous traversons. Continuons d’inventer, de bouleverser les codes et de faire vivre notre flamme artistique qui ne se résumera jamais à des algorithmes…
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