« Flamme » Tribune par Pedro-Octavio Diaz, dramaturge et conseiller artistique de la compagnie lyrique Opera Fuoco
Tribune Septembre 2024
Tribune par Pedro-Octavio Diaz, dramaturge et conseiller artistique de la compagnie lyrique Opera Fuoco
« Flamme »
L’été s’achève avec son lot d’enthousiasme et de déceptions. La communion autour des Jeux a réuni un bel esprit malgré le contexte politique et son sillage d’incertitudes. Le sport a trôné encore une fois au cœur du mirage médiatique et a suscité l’intérêt très suivi d’une grande partie de la société. Est-ce qu’un tel enthousiasme collectif est possible pour nos musiques de patrimoine et de création ?
Comme parfois on entend dans des discours et le ressac corrosif des crises, nos musiques seraient-elles vraiment “exclusives” ? Qu’elles soient économiques, sociales ou politiques, toutes les raisons seraient “justes” pour enfermer les ensembles indépendants dans des poncifs et grignoter petit à petit le terrain de l’expression des formes et des répertoires.
D’aucuns nous reprochent nos mandorles intellectuelles, d’autres nos “privilèges”. Tout semble un prétexte pour nous refuser les moyens de créer. Or, n’est-ce pas un problème plutôt lié au désenchantement systématique des professionnels de la programmation pour nos esthétiques ? Le phénomène n’a rien de nouveau mais il est devenu une entrave sérieuse à la liberté artistique.
Les musiques de patrimoine et de création ont la vertu commune d’être un terreau fertile pour les répertoires. Que ce soit la recherche de nouvelles expressions musicales ou la volonté de porter à la lumière des partitions trop longtemps prisonnières de l’indifférence, le combat est le même.
Hélas, depuis un certain temps, on constate avec regret une timidité manifeste dans l’exploration des répertoires avec de moins en moins d’œuvres inédites ou rares dans les saisons et festivals. Le minerai précieux des bibliothèques se serait-il tari ? Avons-nous déjà tout joué, tout chanté ? Mozart et Monteverdi sont-ils les seuls témoins valables de plusieurs siècles de création musicale ? Certaines réponses à ces questions suscitent parfois la perplexité et le soupçon de mauvaise foi. Quoi qu’il en soit, les sources n’ont jamais été autant accessibles grâce aux programmes de numérisation des fonds des bibliothèques. Est-ce qu’il ne serait pas temps de se rencontrer autour des répertoires et de cesser de se renvoyer la balle ? Les directions artistiques ont la clef des archives mais les diffuseurs sont les seuls à pouvoir ouvrir la salle de lecture.
Dans la réalité, il n’est pas judicieux de renvoyer dos à dos les directions artistiques et le monde de la programmation. Les responsabilités, quoique partagées, ont une source commune : le ciboire économique. Cette boîte de Pandore d’où surgit la crise de la diffusion et la fracture de nos esthétiques. Passer outre toute forme d’exploration et de re-création serait aussi inconsidéré et dangereux qu’ignorer les réalités économiques. Certaines directions artistiques de salles et festivals opposent publics, contraintes financières aux propositions les plus audacieuses, notamment d’œuvres rares et/ou nouvelles. Sacrifier la liberté artistique sur l’autel des chiffres a pour conséquence la concurrence exponentielle des ensembles. Puisque la demande n’a qu’un créneau très limité d’œuvres programmées, la marge de manœuvre n’en est que plus contrainte.
Depuis un certain temps la mine n’est que peu exploitée, le défaut de demande dans la diffusion a sclérosé la recherche de répertoire. Peut-être serait-il temps que les directions des salles et festivals comprennent que les plus belles pépites vont raviver la flamme de leurs publics. Le répertoire rare et inédit peut attirer passionnés ou curieux et les fidéliser. Diriger c’est aussi prendre des risques et les assumer. Il serait temps de faire confiance aux artistes qui sauront toujours sertir des plus belles gemmes des programmes qui font des passionnés.
La quête de renouveau du répertoire n’a rien d’infamant, elle porte le sceau du dynamisme de nos expressions et est le gage ultime de nos sensibilités. À l’image de la flamme olympique qui a traversé la France, il serait temps de porter le flambeau des répertoires oubliés et de renoncer à la crainte ancestrale des salles vides. Tout acte public sera essentiel pour entretenir le brasier et déterminer notre permanence dans le tissu social.
Oui c’est possible de vibrer tout autant avec une redécouverte musicale et un record sportif, l’enthousiasme est attisé par la surprise. Désormais, soyons les paladins de la passion qui ne se développe jamais dans l’ostinato des acquis mais dans la découverte.
Pedro-Octavio Diaz
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