3 questions sur l’action culturelle et la médiation : « Il n’y a pas de plus noble mission que de transmettre notre passion »
Avril 2022
Par Clément Vialle
Orchestre au bahut © Paris Mozart Orchestra, DR
Organisé par le Paris Mozart Orchestra, « Orchestre au bahut » est un projet d’éducation artistique pluridisciplinaire, transversal, participatif et co-créatif associant musique, littérature et arts visuels.
L’Education Artistique et Culturelle (EAC) et les actions de médiation sont un pilier important de l’activité des ensembles indépendants. Pour éclairer la pluralité et l’originalité de formats de ces actions, menées aussi bien auprès des jeunes publics que des publics empêchés et ancrées dans les territoires, la FEVIS a posé 3 questions à 3 directeurs artistiques : Laurent Cuniot, directeur musical de l’ensemble TM+, Geoffroy Heurard, directeur artistique de l’ensemble Perspectives, Alexis Kossenko, directeur artistique des Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie.
Directeur musical de TM+, ensemble orchestral de musique d’aujourd’hui, Laurent Cuniot mène une double carrière de compositeur et de chef d’orchestre. Il conduit depuis 1986 un projet qui renouvelle les liens entre création et répertoire et invente des actions culturelles en direction de publics de toutes origines, de toutes générations.
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Travailler à la rencontre de l’inouï à travers le choc esthétique et une approche pédagogique sensible
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Laurent Cuniot
Les actions culturelles sont une part importante du travail de l’ensemble TM+. En quoi est-ce essentiel pour vous de lier le travail de création à une mission de transmission ?
Laurent Cuniot, Directeur musical de TM+: Un des mantras de TM+ est qu’il n’y a pas de territoires réservés à la création musicale, ce qui est une position à la fois artistique, humaniste et politique. Cette utopie, devenue réalité grâce à notre implantation à Nanterre et notre résidence à la Maison de la musique qui nous ont permis de construire sur la durée un travail en profondeur, s’incarne à la fois dans notre projet artistique et nos actions culturelles. Et cela se traduit en premier lieu par le respect que l’on doit à tous les publics en prenant le risque de les déplacer dans leurs attentes, d’ouvrir leur imaginaire et de les emmener vers des émotions artistiques qui nous ont nous-mêmes grandis. En un mot travailler à la rencontre de l’inouï à travers le choc esthétique et une approche pédagogique sensible, que ce soit dans le lien avec les artistes qui viennent sur les lieux de vie ou dans les classes, ou en se frottant directement par la pratique à ces nouveaux univers sonores dans le cadre de projets participatifs réunissant amateurs et musiciens de l’ensemble.
TM+, DR
Depuis sa création en 2012, l‘Ensemble Perspectives dirigé par Geoffroy Heurard s’attelle à conjuguer au son de la voix l’invisible musical et les maladies ou handicaps invisibles, un projet artistique qui trouve son sens à travers les actions culturelles et pédagogiques envers tous les publics (enfants, scolaires, jeunes) et notamment en direction des publics dits «empêchés».
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Tour à tour, initier un geste ou un son, faire corps avec la musique dans un tressage d’expressions. À partir d’une mémoire de sensations que nous stimulons à travers des jeux vocaux et des chants, les corps s’ouvrent et se libèrent.
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Geoffroy Heurard
Pourquoi avez-vous souhaité vous engager sur la thématique du handicap, en lançant en particulier cette année le projet « Perspectives : voix, corps et handicap » ?
Geoffroy Heurard, directeur artistique de l’ensemble Perspectives : Atteint d’une maladie orpheline et particulièrement sensibilisé au monde du handicap, je m’investis dans de nombreuses actions culturelles, m’attachant à transmettre ma passion de la musique, celle qui nourrit, console, transfigure, si apte à traduire et révéler les impressions, sentiments, aspirations réfugiés dans les rêves de ceux qui ne peuvent s’exprimer. Cette transmission ne peut se limiter à la seule activité de concerts. Elle trouve son sens le plus riche et profond à travers les actions culturelles et pédagogiques auprès de tous les publics et notamment des personnes dites si tristement «empêchées» ou « éloignées » de l’art pour diverses raisons, en milieu hospitalier et pénitentiaire, par exemple.
Cette démarche, débutée il y a 2 ans, nous a permis d’aller à la rencontre d’un nouveau public, tout en répondant à la vocation et la volonté de notre Ensemble d’ouvrir la musique à d’autres mondes par l’établissement d’une relation humaine et aussi pérenne que possible sur notre territoire. En cette époque troublée, notre travail doit plus que jamais rester connecté à la vie de la cité en apportant autour de nous autre chose que de simples concerts. Chaque semaine, j’anime des ateliers auprès d’une trentaine de personnes qui résident dans les centres et foyers de vie de l’APHL (Association d’Accompagnement aux Personnes en situation de Handicap dans le Loiret). La semaine dernière, tous les résidents étaient présents lors du concert de l’Ensemble à Orléans. Ce lien, essentiel, est devenu vital dans le contexte actuel pour ces personnes qui se retrouvent encore plus isolées ! Ces ateliers ont lieu de manière individuelle ou collective selon la nature des handicaps. Ce partage a indéniablement des vertus thérapeutiques.
En 2021, nous avons élargi le public bénéficiaire à d’autres associations (autisme), en jetant également des ponts vers la danse en lien avec le Centre Chorégraphique National d’Orléans : corps chantant, voix dansante… Tour à tour, initier un geste ou un son, faire corps avec la musique dans un tressage d’expressions. À partir d’une mémoire de sensations que nous stimulons à travers des jeux vocaux et des chants, les corps s’ouvrent et se libèrent. Comme si l’on pouvait s’en échapper, tout en en prenant davantage conscience.
Ces actions culturelles font partie de l’ADN de Perspectives. Elles prennent de l’ampleur au moment où cette crise les rend indispensables.
© Ensemble Perspectives, DR
L’Ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie, issu de la fusion des ensembles « La Grande Écurie et la Chambre du Roy » et « Les Ambassadeurs », développe son ancrage territoriale et ses actions culturelles en Hauts-de-France, sous la direction du flûtiste Alexis Kossenko.
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Il n’y a pas de plus noble mission que de transmettre notre passion mais aussi révéler les beautés et l’harmonie des sons…
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Alexis Kossenko
L’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie s’installe en résidence à l’Atelier Lyrique de Tourcoing. Comment envisagez-vous cette implantation territoriale ?
Alexis Kossenko, directeur artistique des Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie : Nous sommes fiers de l’entente et la confiance qui règnent entre François-Xavier Roth, Enrique Thérain et nous ; nous travaillons en étroite collaboration pour que nos projets s’inscrivent en parfaite complémentarité avec ceux des Siècles et qu’ensemble nous puissions offrir au public des Hauts de France une programmation riche, inventive, renouvelée, et audacieuse. Nous ne tournons pas le dos aux « classiques » par principe (rassurez-vous, il en restera !), mais nous savons le public assez curieux et aventureux pour découvrir de nouveaux chefs-d’oeuvre.
Nous commençons dès à présent à nous rapprocher de petites structures pour apporter la musique là ou elle résonne peu souvent – qu’il s’agisse de petites villes grâce aux programmes des Belles Sorties (personnellement, j’ai toujours un certain enthousiasme à sortir ma flûte dans des lieux modestes ou insolites), de jeunes publics, ou de publics dits « empêchés » : Il n’y a pas de plus noble mission que de transmettre notre passion mais aussi révéler les beautés et l’harmonie des sons… que notre société consumériste tend à occulter, ou à dépraver ; oui, il faut savoir prendre le temps d’écouter, de ressentir ! Les très jeunes sont les plus réceptifs, car on n’a pas encore mis dans leur tête que notre musique, LA musique, était une chose élitiste… mais il n’y a aucun âge auquel la cause est perdue : j’ai bien souvent vu des ados ronchons et sarcastiques se laisser charmer et venir applaudir à tout rompre notre représentation (et parfois tout surpris d’y avoir droit, eux aussi…). Concernant les personnes en détresse (services hospitaliers, psychiatriques, gériatriques, pénitentiaires), elles sont souvent un révélateur pour nous musiciens ; on y prend conscience que la musique soulage les peines, physiques ou psychologiques, et surtout qu’elle est un bien essentiel et non superflu. J’ai une pensée pour les personnes en état de misère économique et sociale : se dit-on qu’un sans-domicile a besoin de musique ? On se figure à sa place ce qui est essentiel pour lui, un toit, de la nourriture, une insertion professionnelle ; pourtant le « superflu » qu’est l’accès à l’art, à la réflexion, à la beauté, c’est à mon sens une composante essentielle de la dignité humaine. Voilà pourquoi je réfléchis aussi à proposer des interventions musicales ouvertures aux exclus de la société ; une manière de l’offreur du beau, de la chaleur humaine, de la considération. C’est un projet qui n’est pas simple à mettre en place mais qui me tient très à coeur. Pour tout cela, il faut aussi aimer communiquer : être didactique, mais avec simplicité, chaleur, et être guidé avant tout par un désir de partage. Cette sincérité touche les gens (même dans les concerts sérieux) et ouvre toutes les portes, même celles des a-priori.
© Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie, DR
Une mission de l’Atelier Lyrique de Tourcoing à laquelle nous nous associons, est celle de la promotion des compositeurs et musiciens du Nord. En mai 2022 paraitra un coffret de trois disques dédié à Eugène Walckiers ; il n’en fallait pas moins pour rendre justice à cet étonnant et singulier personnage natif d’Avesnes-sur-Helpe, compositeur plein d’esprit dont les oeuvres instrumentales ne peuvent laisser personne insensible ! Nous croyons bien que ces disques feront l’effet d’une bombe !
Je pourrais aussi mentionner Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, languedocien certes mais qui dirigea plusieurs années les Concerts de Lille : nous enregistrerons en première mondiale son opéra « Le Carnaval du Parnasse ». Et que dire aussi de Jean-Jacques Decroix, cet avocat lillois du XVIIIème siècle à qui l’on doit la copie minutieuse et systématique des oeuvres de Rameau ? Nous lui sommes redevables chaque fois que nous rejouons un chef-d’oeuvre de Rameau !
Enfin, je ne devrais pas passer sous silence un projet qui m’est plus personnel : Les Concerts de Pan. Il s’agit de clips vidéo, publiés sur YouTube, qui visent à faire découvrir le répertoire pour flûte solo sur de précieux instruments du passé. Pour les vingt-cinq prochains épisodes, j’ai souhaité m’associer avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing et faire résonner la musique dans quatre lieux contrastés de la région : Hospice d’Havré, Hôtel de Ville de Tourcoing, la Piscine de Roubaix et même une usine abandonnée !
Extraits issus des entretiens de la FEVIS :
• 3 questions à Laurent Cuniot, TM + (Juin 2021)
• 3 questions à Alexis Kossenko, Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie (Septembre 2021)
• 3 questions à Geoffroy Heurard, Ensemble Perspectives (Décembre 2021)
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